Temps de vol.
Le front collé au hublot à quelques milliers de mètres d’altitude, une percée dans la couche nuageuse, sa couleur apparait. Un bleu profond, le bleu de l’océan Atlantique.
La flotte de la route du rhum est là, quelque part en dessous, dans un réflexe enfantin, je scrute, je perçois l’onde des trains de vague, mais vais-je en apercevoir ?
Charles Caudrelier a traversé l’Atlantique et remporte la Route du Rhum en 6 jours, 19 heures, 47 minutes et 25 secondes suivi de François Gabart et Thomas Coville quelques heures après. Tous trois battent le record de Francis Joyon établi 4 ans plus tôt mais c’est le nom de Charles et de Gitana qui resteront en haut des tablettes. Francis est arrivé 4 ème presque dans le même temps que lors de sa précédente victoire avec son Idec « vieux » de 16 ans. À 66 ans, quelle force de mener encore ce type d’engin.
Dans ce tube volant en direction de la Guadeloupe, nous sommes bien trop haut pour espérer distinguer des voiles, mais c’est amusant et ça fait passer le temps.
J’imagine… Des images, des sensations remontent dans mon esprit. La vitesse, le cinglement des embruns qui vous cueillent dès que vous passez la tête dehors, les parfaits moments de communion avec la machine et les autres plus difficiles ou rien ne va plus, une avarie, une casse… Ne plus penser, réparer, repartir, finir, se ramener soit, ramener le bateau, c’est à terre que le tri des souvenirs, bons ou moins bons, s’opérera.
J’ai un grand respect pour ces marins, hommes, femmes, du premier au dernier et de ceux qui y retournent juste pour le plaisir comme Philippe Poupon sur son Flo’, Catherine Chabaud et le Cigare Rouge, Halvard Mabire, Marc Guillemot ou encore Wilfrid Clerton sur Kritter VIII.
Dans quelques heures, je serais arrivé à destination pour aller à la rencontre de plus de 400 enfants guadeloupéens, leur parler de l’importance de prendre soin de la mer, de son écosystème naturel et j’imagine : si nous pouvions traverser les océans tout en les protégeant, les préservant ? Un navire à voile, foilant sur les flots, traversant cette immensité le temps de quelques jours. Transportant des centaines de passagers de l’autre coté à 30, 40 knts de moyenne, sans aucune émission de CO2, ce serait magnifique. Dans quelques décennies peut-être…
Hélas, le corréla de cette vitesse est la faune marine et le danger que cela fait peser sur elle. Récemment un biologiste marin me disait qu’au-delà de 20/25 knts, les grands mammifères marins ne sont plus en capacité de localiser un navire qui arriverait sur eux pour s’échapper, sonder. Pudiquement on dit « rencontre avec un Ofni » pour ne pas dégrader l’image de la voile ou l’image du sponsor. Quelques voix se sont élevées dans le milieu de la course au large pour ne plus cacher cette réalité et pointer cette recherche de vitesse.
Je reste intimement convaincu que l’adjonction des foils pour la flotte des Imoca est une erreur au regard du couperet que ces lames représentent pour la faune marine et de part l’inflation des budgets qu’ils provoquent. 1 million d’Euros pour une à deux paires de foils, un Imoca neuf s’estime à 8,5 millions d’euros ; Le double d’il y a 8 ans…
Accepter de ralentir, l’objectif d’une course reste de couper la ligne avant le deuxième, 20knts, 35knts ? Est-ce que pour autant l’aura des marins en brillerait moins s’ils leur fallaient 3/4 jours de plus pour cette distance.
Est-ce que les spectateurs sont réellement sensibles à cette surenchère technologique, est-ce que le spectacle en est décuplé, est-ce que ce surplus de budgets ne seraient pas mieux employés au développement de nouveaux matériaux pour les coques, les voiles, le recyclage, etc. ?
La course au large est dans une période faste, rarement autant d’entreprises ont voulu adosser leur image à celle d’un sport propre. La course au large attire par ses valeurs réelles d’engagement et de solidarité qu’elle représente et aussi l’imaginaire « propre » qu’elle renvoie. Jamais autant de bateaux neufs n’ont été construits pour un cycle de course. Rarement les équipes de pointe ont disposé d’autant de budget pour leur projet. Mais cette quête de performance absolue, à de rares exceptions près, ne pousse qu’au toujours plus.
Peut-on faire plus avec mieux ? Je le crois !
Sur cette route du Rhum, des skippers se sont engagés avec des projets innovants et performants. Exemple :
En Ocean Fifty, vous avez Quentin Vlaminck en tête de sa catégorie sur Arkema, dont le trimaran fabriqué chez Lalou Multi utilise une résine recyclable pour une partie des pièces le composant.
En Class 40, vous avez Keni Piperol sur Captain Alternance dont le monocoque, fabriqué encore une fois chez Lalou Multi, est annoncé quasi 100% recyclable pour la coque. Il a occupé un temps la tête de sa catégorie au combien relevée et vient de repartir en course.
En Rhum Multi, vous avez Roland Jourdain sur We Explore, son catamaran est fabriqué à plus de 50% en fibre de lin au chantier Outremer et dans les moules d’un bateau de croisière. Ça pourrait être une avancée importante pour le secteur de la plaisance. Bilou est actuellement deuxième de sa catégorie et face à de très sérieux concurrents sur le même type de bateaux.
Malheureusement, je n’ai pas repéré d’avancée très notable en Imoca ou en Ultim (Ou alors les projets ne sont pas assez mis en avant). Pourtant ce sont les deux catégories les plus populaires, celles ou la portée médiatique pourrait entrainer le plus rapidement l’ensemble de la voile dans une direction plus vertueuse.
Il est temps pour la course au large que l’ensemble des Classes, par les règles de jauge, obligent à plus de sobriété dans les bateaux. Cela pourrait être :
• Imposer une part en % de masse totale des résines recyclables et des fibres d’origine naturelle pour la construction de bateaux neufs et/ou en cas d’évolution. Ne réserver le carbone qu’aux parties structurelles.
• Faire des classements différenciés, nez rond/nez pointu, foils/dérives pour remettre en avant les projets les plus économiques.
• Rendre les mâts flottants et équipés d’un traceur GPS pour qu’ils puissent être suivis, récupérés et réparés par les équipes. Ce serait par la même occasion, une opportunité de pouvoir ré-assurer les gréements.
Et à l’instar du bateau Mérida de Adrien Hardy, qui avec son équipe à récupéré et remis à l’endroit le trimaran de Thibaut Vauchel-Camus puis l’a ramené à terre. On pourrait imaginer que les organisateurs, voir les classes, mutualisent des bateaux et des équipes entre les teams pour réaliser ce type d’opération.
Même s’il faut rester conscient que l’impact environnemental 0 restera impossible sur l’ensemble d’un projet, beaucoup de navigateurs et navigatrices se mobilisent. Je pense notamment à Arthur Le Vaillant, Stan Thuret qui, à travers l’association « La Vague », tirent la course au large vers un impact le plus faible possible. C’est le futur de la voile, faire plus avec mieux.